Bidoche. Le terme est lancé. Ces tranches rouges que l’on trouve sur les étals idoines de nos temples alimentaires. Bien appétissantes quand on arrive à bloquer les quelques neurones qui auraient pu nous interpeller ou nous rappeler par quels biais elles sont arrivées si brillantes sous leur beau cellophane. Bidoche, le mot parfait pour illustrer la dématérialisation de la viande. Ne trouve-t-on pas dans notre argot des expressions comme remuer sa bidoche ou étaler sa bidoche ? Ce mot qui s’adapte, c’est selon, aux animaux, aux soldats du front ou à la prostitution ! Alors oui, avec l’objectif visé, le mot était plus que parfait pour titrer ce livre. Mais…la suite ?
J’arrête là tout suspense inutile. L’ouvrage est brillant, de style, de recherches documentaires et d’humilité. Fabrice Nicolino ne se place pas en redresseur de tort mais en journaliste d’investigation, témoin d’une époque, et comme moi, mangeur de viande sur le déclin. Vous me pardonnerez Fabrice, mais mon exemplaire est désormais invendable, même d’occasion, tant j’ai écrit, annoté, souligné et "post-ité" ! De toute manière, je le garde.
J’ai l’habitude des images insoutenables d’abattoirs, d’égorgements et de souffrances que l’on peut voir, ici sur Internet ou là, imprimés sur quelques flyers associatifs. Mais ce livre s’en passe. Un de mes post-it me dit : "à l’heure de l’omnimage, ce livre remet les mots à leur place [...] et, décrivant une situation, ils reprennent leur sens". Le premier élan de Fabrice Nicolino n’est pas l’apitoiement sur l’animal, mais sur l’homme. Comment la barbarie quotidienne peut-elle être supportée ? Dans quelles conditions de travail ces hommes évoluent-ils ?
Je vous rassure, ce livre n’est pas sur l’abattage en masse auquel nous nous livrons, bien qu’il le traite en profondeur, au point que je me suis surpris à espérer une attaque d’agueusie. L’effet papillon de nos coutumes anthropiques est disséqué tout au long de l’ouvrage, et les malveillants, nommés et pointés du doigt. Fabrice Nicolino nous entraîne, à l’instar des meilleurs polars, dans une enquête sur un monde parallèle, structurant des pans gigantesques de notre économie. Mais surtout, et c’est probablement ce que souhaite l’auteur, il réactive les deux ou trois neurones que j’évoquais plus haut et nous oblige à assumer nos responsabilités, la première étant de voir les choses en face. Rien de mieux pour comprendre.
Donc, à lire absolument.
À travers cette enquête aux confins de notre univers consumériste, l’auteur démontre point par point l’impact colossal de la viande sur l’environnement planétaire. Déforestation, gestion de l’eau, pollution, santé, malbouffe et malnutrition sont des implications immédiates de l’industrie de la viande et, par conséquent de nos habitudes alimentaires.
Bidoche
de Fabrice Nicolino
Éditions LLL (Les Liens qui Libèrent)
385 pages - 21 €